La Luxembourgite
Une première espèce minérale trouvée et décrite au Grand-Duché de Luxembourg a été validé par la commission internationale compétente
Le hasard d’une découverte
Fin de l’hiver 2012, lors des travaux relatifs au percement de la nouvelle galerie de la SEO (Société Électrique de l’Our) à Bivels dans le nord du Grand-Duché de Luxembourg, certains échantillons de schiste fortement rubéfiés, trouvés sur les haldes, présentaient de fines veinules minéralisées d’un centimètre maximum d’épaisseur. Ces veinules sont remplies de dolomite semi transparente en cristaux de deux millimètres et de sidérite. Les premiers échantillons présentés au Musée national d’histoire naturelle de Luxembourg (MNHNL) pour analyse ont été trouvés par Jean-Baptiste Burnet, un collaborateur scientifique. En effet, ce dernier avait observé de très fines aiguilles et voulait vérifier s’il s’agissait de « millerite ». Les fibres analysées font six micromètres d’épaisseur et 190 micromètres de longueur. Elles sont positionnées de manière telle qu’elles ressortent des cristaux de dolomite en donnant l’impression qu’elles sont piquées dedans.
Premières analyses et stupéfaction
Les fines fibres trouvées sur la dolomite ont été photographiées au moyen du microscope électronique à balayage (MEB) du laboratoire de minéralogie du MNHNL. Les premières analyses réalisées permettent de signaler la présence des éléments suivants : cuivre, bismuth, argent, plomb, sélénium et des traces de soufre.
C’est avec grand étonnement que nous avons traité ces analyses. En effet, aucun minéral contenant de l’argent, du bismuth ou du sélénium n’avait jamais été trouvé au Luxembourg à ce jour. Nous étions d’ores et déjà certains qu’il s’agissait d’une rareté pour la minéralogie de notre pays.
Procédure de validation
Lorsque des scientifiques suspectent la découverte d’une espèce minérale nouvelle, ils doivent remplir une proposition sous la forme d’un dossier relatant toutes les données analytiques qu’ils ont pu obtenir. Ce dossier doit être rempli point par point avec un texte court motivant ou argumentant chaque détail. Ils doivent également faire une proposition de nom en la motivant. L’ensemble du dossier est transmis aux trente membres de la CNMNC (Commission on New Minerals, Nomenclature and Classification) de l’IMA (International Mineralogical Association). Ceux-ci sont amenés à délibérer sur la validité de l’espèce et du nom.
Notre proposition enregistrée sous le numéro IMA2018-154 a été déposée le 30 novembre 2018. Le nom de Luxembourgite a été retenu par le conservateur de la section Géologie/Minéralogie du Musée national d’histoire naturelle car, à ce jour, aucune nouvelle espèce minérale n’avait jamais été décrite sur le territoire du Grand-Duché.
Fin 2018, la liste officielle des espèces minérales comptait un peu plus de 5 400 entrées. Par rapport aux autres sciences décrivant des espèces comme la zoologie ou la botanique c’est très peu. En minéralogie, on trouve en moyenne entre cinquante et soixante nouvelles espèces chaque année dans le monde.
C’est ce 9 avril 2019 que nous avons reçu la confirmation de la commission que la Luxembourgite (Philippo et al., 2019) a été validée et fait maintenant partie des quelques 5 400 espèces minérales connues. L’holotype de l’espèce est conservé dans les collections du MNHNL.
La Luxembourgite dans son contexte géologique
Comme nous l’avons vu ci-dessus, aucun minéral contenant argent, bismuth et sélénium n’a été trouvé au Luxembourg à ce jour. Qu’en est-il dans la grande région ? Et quels autres métaux trouve-t-on au Luxembourg ?
Les différents gisements de fer du pays, comme ceux de la Minette, du Rasenerz (minerai de fer des prés) et le Bohnerz (minerai de fer pisolithique) sont relativement bien connus du grand public. On y trouve associés des minéraux courants tels que la calcite, le quartz ou la baryte. Par contre, les minéralisations contenant d’autres métaux (cuivre et plomb notamment) le sont beaucoup moins. Celles-ci sont situées essentiellement dans l’Oesling.
Pour comprendre le contexte de formation de notre nouvelle espèce, nous devons nous plonger dans l’histoire géologique du nord du pays. Lors de la formation de l’Oesling et des Ardennes, des failles de direction Est-Ouest se sont développées en lien avec la collision de deux plaques continentales. Durant cette orogenèse notamment, la minéralisation en antimoine de Goesdorf se met en place.
Par la suite, une famille de failles de direction Nord-Nord-Est/Sud-Sud-Est et Nord-Ouest/Sud-Est s’est développée permettant la mise en place de minéralisations en cuivre (chalcopyrite) et en baryte dans la région de Stolzembourg (Bornain & Philippo, 2007) et en plomb (galène) dans les régions de Longvilly-Allerborn (Lucius, 1948) et de Bleialf. L’âge de cette seconde phase tectonique s’étale du Permien au Jurassique inférieur et elle est probablement engendrée par l’édification de la Pangée.
Les veines minéralisées, contenant notre Luxembourgite, dans les environs de la centrale hydroélectrique de l’Our sont très vraisemblablement associées à la minéralisation en cuivre de Stolzembourg. À proximité de la zone de découverte de la Luxembourgite, nous notons dans nos analyses (Bornain & Philippo, 2007) des traces de sélénium et de bismuth dans les filons d’argiles parallèles aux minéralisations en cuivre et baryum.
Notre équipe de recherche est fière, après avoir découvert deux nouvelles espèces au Brésil et deux autres en République démocratique du Congo, d’offrir au Luxembourg sa première nouvelle espèce minérale.
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Auteur: Simon Philippo, géologue et minéralogiste auprès du Musée national d’histoire naturelle, il est chargé de la gestion de la section Géologie/Minéralogie au titre de conservateur