Le sous-sol de Belval

De la disposition géologique régionale

Le sous-sol géologique est constitué, au droit du site de Belval-Ouest, par la formation des Schistes bitumineux. Cette formation affleure, comme le montre l’extrait de la carte géologique générale, sur une large partie du Sud-Luxembourg entre Pétange à l’Ouest et Bettembourg à l’Est. La carte géologique schématise la distribution des différentes formations rocheuses successives et montre parallèlement les zones urbanisées, le réseau routier national et la localisation de la coupe géologique schématique. Les bassins ferrifères d’Esch et de Differdange forment un relief marqué et sont constitués de roches dures et résistantes à l’altération. Le relief marqué se défini aussi dans les buttes témoin du Lötschet et du Zolverknapp coiffés par de la Minette.

Carte géologique du bassin ferrifère luxembourgeois
Carte géologique du bassin ferrifère luxembourgeois

L’assise des Schistes bitumineux  (lo1et 2) a une épaisseur totale d’environ 50 mètres. Au Nord, à la hauteur de Sanem et de Mondercange,  affleure ainsi déjà le « Grès médioliasique »  (lm3) sous-jacent. Vers son toit, l’ensemble passe à l’assise de la Minette. Les légendes stratigraphiques concernant d’un côté le substrat géologique et de l’autre côté les terrains de couverture meuble fournissent des donnée sur l’âge de formations des différentes unités, sur la nature lithologique et les propriétés physiques des roches utiles pour la lecture de la carte et de la coupe géologique.

Belval-Ouest se situe entre les deux massifs ferrifères, le « Bassin d’Esch » et le « Bassin de Differdange ». Deux failles d’orientation Nord-Est – Sud-Ouest se localisent en bordure des bassins ferrifères et limitent un compartiment central affaissé avec Belval-Ouest et la plaine de Russange.

La coupe géologique schématique, dressée dans le compartiment affaissé avec Belval-Ouest, montre la structure géologique régionale. Les couches du substrat géologique accusent une légère pente vers le sud-est. Le Grès médioliasique  affleure au Nord du site de Belval-Ouest alors que l’unité du lo3-5, formant le toit de l’assise des schistes bitumineux, affleure à la hauteur de la plaine de Russange. Cette dernière est de nature marneuse et pauvre en matières organiques.

Coupe géologique à travers le site de Belval
Coupe géologique à travers le site de Belval

Une faille de faible rejet recoupe le site. La faille a fait remonter le compartiment Nord par rapport au compartiment Sud, elle ne figure pas sur la carte géologique détaillée mais des observations récentes précisent sa présence. La faille sur le site de Belval a déjà été évoquée en 1892 par Emile d’Huart pour expliquer le jaillissement artésien de la source de Bel-Val (forage-captage de 30 mètres de profondeur réalisée entre 1888 et 1890). Du jaillissement artésien d’eaux souterraines a été observé également dans plusieurs forages réalisés récemment dans le cadre de l’étude géotechnique de la Maison du Savoir. Il est très probable que les émergences d’eaux se situent à proximité du tracé de la faille.

Du dépôt des « Schistes bitumineux » dans les mers du Lias

Les différentes roches affleurant dans la région se sont déposées comme sédiments meubles dans des mers pendant l’époque du Lias et pendant celle du Dogger et ceci entre environ -185 et -175 millions d’années.

Echelle lithologique et stratigraphique du Jurassique luxembourgeois
Echelle lithologique et stratigraphique du Jurassique luxembourgeois

La mer était, au temps du dépôt des Schistes bitumineux, plus profonde et plus éloignée des côtes que celle du Grès médioliasique, laquelle était caractérisée par des apports de sable. Des dépôts de minéraux argileux se faisaient dans des dépressions marines à eaux stagnantes. Les eaux des fonds étaient de ce fait très appauvries en oxygène.

Une faune nageante : poissons ammonites, bélemnites…et une faune et flore planctonique (flottante : larves, algues, crustacés..) abondantes vivaient à l’époque dans les couches superficielles et s’accumulaient au fond, à la mort des individus. Les restes des organismes ont été ensevelis progressivement par des couches de boues argileuses et la matière organique a pu se transformer lentement, en absence d’oxygène, en kérogène.

Dans les conditions réductrices régnant au fond de l’eau marine et dans les sédiments fraichement accumulés, le fer présent ne pouvait cristalliser que sous forme de sulfure de fer (pyrite, FeS2), le soufre était libéré par la transformation anaérobique de la matière organique. Les cristallisations de sulfures se concentrent dès lors le plus souvent  près et autour de restes de grands organismes. La cristallisation du sulfure se fait sous forme de marcassite, variété cristallographique de la pyrite.  Les sulfures sont de couleur métallique jaune ou or (on les nomme aussi l’or des fous).

Cristaux de pyrite, belemnite et ammonite dans les Schistes bitumineux
Cristaux de pyrite, belemnite et ammonite dans les Schistes bitumineux

Les roches de l’assise des Schistes bitumineux sont très pauvres en carbonates (CaCO3). On y observe seulement quelques fins lits de calcaire intercalaires dans les sédiments argileux. Des nodules ou lentilles de calcaires (pains pétrifiés) existent localement et sont disposés isolés ou en chapelet dans la roche. Les nodules sont très riches en fossiles; on y trouve même parfois des poissons entiers.

Le litage fin des Schistes bitumineux témoigne d’une sédimentation rythmique et saisonnière. Les dépôts de couches d’argile ont alterné avec l’accumulation de restes d’organismes. La mort était instantanée mais l’accumulation de sédiments était lente; la sédimentation de l’épaisse série des Schistes bitumineux s’est faite sur quelques millions d’années.

Les sédiments déposés par après dans les mers du Dogger ont recouvert progressivement les dépôts argileux et organiques des Schistes bitumineux. Ils ont induits sous leur charge, l’expulsion d’eau, la compaction des boues, la consolidation et finalement la pétrification des matériaux meubles fraichement déposés. Les coquillages des ammonites ont été écrasés. La maturation des matières organiques en huiles et en kérogènes s’est poursuivie sous l’effet de la pression (charge) et de la température, laquelle augmente vers les profondeurs en raison de quelques degrés par 100 mètres.

Des Schistes bitumineux

En fait les Schistes bitumineux  appelés aussi schistes carton ou pyroschistes (Brandschiefer) ne sont ni des schistes (des schistes en on trouve dans l’Eisleck) ni enrichis en bitume. Ils sont formés en large partie de minéraux argileux, d’une plus faible proportion de carbonates (calcite CaCO3) et accessoirement de matière organique et de pyrites. Ce dernier minéral n’est présent qu’en faible proportion et ne dépasse guère 1 % en poids. Les Schistes bitumineux sont beaucoup moins consolidés que de vrais schistes et ce sont des argilites voire des marnes argileuses. Les substances organiques y contenues sont des kérogènes et elles constituent généralement entre 5 et 10 % de la roche, en bas de l’assise les teneurs peuvent être encore supérieures dépassant parfois les 14%.

Ammonite dans les Schistes bitumineux
Ammonite dans les Schistes bitumineux

Les kérogènes peuvent être extraits de l’argilite par pyrolyse vers les 500°C. Les gisements de pyroschistes ont constitué longtemps des ressources énergétiques d’une certaine valeur. La transformation en réserves ne pourra cependant être ré-envisagée, pour des raisons environnementales évidentes (la pyrolyse détruit la pyrite libérant dans l’air de l’oxyde de soufre (SO2)), qu’une fois la transformation in situ sera opérationnelle à grande échelle.

Les propriétés énergétiques des Schistes bitumineux sont connues depuis longtemps. Déjà en 1853, Monsieur de Prémorel de Differdange faisait brûler du schiste bitumineux dans un four ordinaire et expérimentait, entre autres, l’utilisation de la roche pour le chauffage d’habitations.  De nombreux cas d’inflammation spontanée de Schistes bitumineux  mis en décharge sans compactage approprié sont bien connus dans la région de la Minette. L’oxygène de l’air et la température ambiante suffisent à provoquer l’inflammation. La consommation du kérogène se fait lentement, en feu couvant,  en dégageant par distillation froide des odeurs de bitume brûlé et ce parfois pendant des semaines. De l’auto-pyrolyse s’opère et des gouttelettes d’huile apparaissent sur les feuillets alimentant le feu.

La formation du relief actuel

Les grandes rivières, Rhin, Meuse... ont commencé à entailler leurs vallées il y a environ 2 millions d’années et le réseau hydrographique actuel s’est progressivement mis en place. Le ruisseau Dippach, un affluent de l’Alzette, a creusé lui aussi sa vallée, débutant probablement il y a quelques centaines de milliers d’années, entraînant par ses eaux tous les matériaux libérés par l’altération. Le creusement des cours d’eau était au maximum il y a environ -10 000 ans soit à la fin des dernières glaciations.

Depuis l’Holocène, l’accumulation de sédiments a repris dans les vallées et sur les pentes constituant des alluvions et un nouveau manteau d’altération, dont les épaisseurs sont de quelques mètres. Une nouvelle couche protectrice de terre végétale s’est formée progressivement. Le manteau  d’altération se forme sous les effets des agents atmosphériques (eau, oxygène et variations de température) à partir du substrat géologique sous-jacent. Sur les pentes il est en mouvement permanent et est appelé éboulis de pente.

Extrait de la carte 'Hansen' (1927)
Extrait de la carte 'Hansen' (1927)

L’extrait de la carte de Hansen (1927, échelle 1 :50 000) montre encore la large vallée du Dippach (telle figurée sur la coupe) et les premières installations industrielles.

L’homme d’aujourd’hui est devenu un « géo-facteur » déplaçant plus de matériaux que les processus naturels. Une nouvelle époque, « l’anthropocène » dont le début a été fixé en 1800 est proposée. La région de la Minette en est un exemple particulier. L’industrie du fer s’est développée, dès son début, sur des remblais. La plaine de Belval ayant été retenue pour sa disposition topographique relativement plane et la présence d’eaux. Les remblais successifs créant des plateformes d’assise pour les installations industrielles se sont étalés et recouvrent actuellement la plus large partie du vallon du Dippach. Les scories produites et les déchets de fabrication ont été mis en terrils à proximité. Les remblais techniques dépassent les 10 mètres d’épaisseur alors que les terrils ont plus de 20 mètres de hauteur. Les terrils de scories sont en exploitation et sont en voie de disparition. Les déchets de fabrication continuent à poser problème.

De l’altération des « Schistes bitumineux »

Les Schistes bitumineux  ou schistes carton constituent un matériau très particulier et très réactif. Sous l’effet du dessèchement, l’argilite litée s’ouvre en fins feuillets comme le ferait un livre sous l’effet de l’humidité. Les feuillets cassent en petits morceaux et il ne reste finalement qu’une fine boue ressemblant probablement à celle déposée il y environ -190 millions d’années dans les mers liasiques.

Légende stratigraphique des terrains meubles
Légende stratigraphique des terrains meubles

D’autres marnes et argilites s’altèrent physiquement de la même manière, la vitesse de transformation est cependant lente et peut durer plusieurs années. La transformation des schistes carton se fait sur des semaines. La réactivité de cette roche est due à la présence des matières organiques et des pyrites. Le fin litage et son ouverture progressive augmentent dans une très large mesure les surfaces d’attaque dans lesquelles l’humidité et l’oxygène de l’air peuvent pénétrer et altérer chimiquement la roche et ses minéraux constitutifs. De nouveaux minéraux tel le gypse se forment et dégradent davantage la structure rocheuse.

La dégradation physique et chimique complète des Schistes bitumineux  a progressé au cours de l’Holocène, sur des profondeurs de 3 à 4 mètres comme en témoignent les épaisseurs des manteaux d’altération observés. L’altération a affecté la roche cohérente sur des profondeurs allant de 10 à 15 mètres et est traduite par une ouverture partielle des feuillets. L’altération va de pair avec la réduction notable de propriétés géomécaniques. Il importe de bien évaluer les incidences des phénomènes d’altération sur des nouvelles constructions tout comme sur les terrains avoisinants. Des travaux de déblai avec mise en affleurement du substrat schisteux  voire un dessèchement du substrat par soustraction d’eaux souterraines peuvent  modifier rapidement les caractéristiques du substrat et produire des effets non voulus. Dans une prochaine édition du Magazine, nous reviendrons sur cette problématique.

Schiste bitumineux altéré (1)
Schiste bitumineux altéré (1)
belval-schiste-altere2
Schiste bitumineux altéré (2)
 

Bibliographie sommaire :

Bintz, J., R. Pixius, and A. Wagner, Géologie, géochimie et possibilités d'exploitation des schistes bitumineux luxembourgeois, Rev.technique luxemb., 132-144, 6 fig., 1984.

Guérin-Franiatte,S.,Maquil,R.,Münzberger,P., Le Toarcien au Grand-Duché de Luxembourg : Biostratigraphie dans la région de Belvaux, Ferrantia, 62, 19-34, 5 figs., 4 pl., 2010

d'Huart, E., Etude sur l'eau d'Ernshof source Bel-Val, p. -26, Imprimerie de la Cour V. Bück, Luxembourg, 1892.

Faber, G., L'industrie des schistes bitumineux, une industrie nouvelle à créer au Grand-Duché?, p. -40, Imprimerie Charles Beffort, Luxembourg, 1916.

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R.Maquil, dans 'Magazine-le périodique du Fonds Belval' n° 03/2010.